On ne présente plus Patrick Rimoux, célèvre pour être un sculpteur de lumière, qui créé la lumière intérieure de Notre Dame de Paris, du nouveau Palais à Al Ula en Arabie Saoudie, mais aussi les lumières et vidéos pour la façade du parlement bruxellois, et même les vitraux de Saint Ignace de Loyola à Paris. Cependant, cet article parle de sa pratique la plus confidentielle, son jardin secret : la création à partir de pellicules de films, à travers l’exposition « Coup de foudre » à la Galerie Minsky jusqu’au 18 mars.
Crédit photo : La formule 2021 0,6xO,6m film 35mml'etrange Noel de Monsieur Jack -0224
Une pratique de restauration et de réemploi
Depuis 34 ans, alors qu’il était étudiant aux Beaux-Arts de Paris, Patrick Rimoux créé à partir de pellicules de films. Sa technique consiste à sélectionner des séquences – parfois plusieurs, parfois une seule – d’un film, à les monter d’abord sur un plexiglas utilisé comme support pour composer l’œuvre, en carré ou en rectangle de 30 cm jusqu’à 2 mètres. Ces pellicules sont ensuite habillées par la main de l’artiste : dessin, peinture, sablage, grattage, acrylique ou feuille d’or… appliqués directement sur les images négatives. Pour finir, décrochées du plexiglas, elles sont glissées entre deux plaques de verre sur mesure et subissent une première cuisson à 100 degrés, et une seconde à 140, après être collées et mises sous vide.
Ces dernières étapes permettent de créer une œuvre solide, qui ne se détériore pas, même dehors, même sous la pluie, c’est d’ailleurs pour cette technique qu’on a pensé à lui pour restaurer la tombe de Langlois.
Henri Langlois est un des fondateurs de la Cinémathèque française. Mort en 1977, il a été enterré au cimetière du Montparnasse entouré des films qu’il aime. Malheureusement, la structure de la tombe n’a pas supportée l’extérieur et les intempéries, les pellicules se sont détériorées.
Ainsi, 34 ans après ses débuts aux Beaux-Arts de Paris, c’est un rêve qui se réalise pour Patrick Rimoux de rendre hommage au grand homme en restaurant la tombe grâce à sa technique permettant de réaliser des œuvres résistantes. L’inauguration de la sépulture restaurée se fera le 25 mars 2023, au cimetière du Montparnasse.
Crédit photo : Lunes 2021 1x1m film 35mm Mon voisin Totoro
Alors que Patrick Rioux rend ainsi hommage à un des pionniers de la conservation et de la restauration de films, lui aussi fourni sa pierre à l’édifice grâce à ses œuvres. En effet, toutes ces pellicules lui sont fournies par le CNC (le Centre national du cinéma et de l'image animée) qui a pour mission la conservation des œuvres cinématographiques. L’entretien des bobines est très contraignant ; outre la place qu’elles prennent, leur conservation demande une aération deux fois par an, entrainant des problématiques de stockage et de main d’œuvre.
Pour la conservation des films, la numérisation est aujourd’hui préférée et en récupérant les bobines dans un but de créer, Patrick Rimoux leur évite le pilon, il les transforme, il recréé du beau à partir d’œuvres d’art audiovisuelles.
L’amour du cinéma, l’amour au cinéma
Cette pratique minutieuse à la base des bobines de film est également un élan artistique fort, exposé ici par la célébration de l’amour au cinéma.
Patrick Rimoux, dans ses montages, se laisse guider par les films qu’il aime, les séquences qui l’ont marqué ; il monte un film tel un cinéaste et fait naître tout un panel de pellicules et de verres qui raconte des histoires d’amour impossibles, filiales, passionnées, heureuses…
Crédit photo : Arbre 1,1mx1,1m film 70 mm Mon Voisin Totoro . verre et acrylique
Les formes et dessins apposés à même l’image négative traduisent les thématiques ou les émotions de l’artiste véhiculées par les séquences choisies. De sa main, il traduit une image désormais figée, ou pas encore animée, lui redonne vie, à travers ses impressions.
Il dessine un Arbre magique représentant la végétation dans laquelle se plonge la petite fille du dessin animé Mon Voisin Totoro. Il invente une langue figurant La formule magique de l’amour proférée par le personnage principal de L’étrange noël de monsieur Jack. Il utilise un jeu de miroirs évoquant celui qui reflète l’image de la femme aimée, mais inatteignable pour Deblache dans Sale comme un ange. En guise d’ultime exemple, on peut choisir de citer Bashir qui est sauvé de la noyade par une femme, Patrick Rimoux peignant la rivière qui failli être fatale pour symboliser l’amour maternel.
Crédit photo : Grand Père 0,6mx0,6m . film 35 mm Chat Noir Chat blanc . verre et acrylique
La figuration des films et des séquences ne se contentent pas du dessin, et passe aussi par le traitement du verre. C’est le cas pour deux œuvres de la série inspirée du film Chat noir, chat blanc, où la personnalité trouble du mafieux est figurée par le verre fissuré. Ce troisième verre intervient entre les pellicules et le premier verre qu’on voit quand on regarde l’œuvre de face. Le verre est brisé à la main par Patrick Rimoux, il utilise le même procédé dans la même série représentant là aussi un personnage trouble, Humphrey Bogart jouant lui-même, mais n’apparaissant dans le film qu’à travers la mise en abime d’un vieil écran. Ecran, lui aussi figuré et multiplié par la main de l’artiste.
Crédit photo : Miroirs_1,24mx1,14m_Film 35 mm Verre & Acrylique_Patrick Rimoux
La figuration passe également par le traitement des pellicules : alors que le film traite de la disparition des films et images au sujet de la Shoa pendant le nazisme, l’artiste a choisi de montrer cette disparition, l’effacement de la mémoire, par le temps et aidé plus sûrement. Pour cela, il a plongé les bobines dans de l’eau pendant 6 mois, pour avoir ce résultat constitué de pertes et d’effacements irréguliers qui servent aussi bien à la mise en valeur des propos du film qui l’a inspiré.
Amour de lumières et de projections
Comme on peut le remarquer sur les visuels de l’exposition, les « tableaux » ont toujours un certain décrochage du mur, ils en sont éloignés. C’est pour mettre en valeur les projections lumineuses que les œuvres forment, ne se contentant pas d’être par elles-mêmes, leurs ombres sont aussi esthétiques et poétiques qu’elles. Le jeu de lumières qui habite innocemment l’œuvre ajoute à la particularité de ces dernières, qui ne s’achève finalement presque jamais : les films anciens survivent, l’œuvre est créée avec un système pérennisant et elles débordent de leurs cadres…
Par la projection, les œuvres peuvent également prendre vies, Patrick Rimoux les animent grâce à la vidéoprojection : elles roulent, se déroulent, changent de forme de couleur et se déplacent, pourtant figée quelques instant plus tôt en l’absence de vidéoprojecteur
Dans la pratique de l’artiste, le jeu d’optique, comme le remodelage du bâtiment du parlement de Bruxelles, n’est jamais loin !
--
Patrick Rimoux
A voir à la Galerie Minsky
Jusqu'au 18 mars
37 rue Vaneau 75007 Paris
Du mardi au samedi de 10h30 à 13h et de 14h à 19h